Eleveur de chiens : une profession de foi

Alors que les réglementations du commerce de chiens sont en pleine restructuration, découvrez le métier d’éleveur de chiens grâce au témoignage de Laurence Thevenaz, éleveuse de Cavaliers King Charles en Saône et Loire.

Comment devient-on éleveur de chiens ? Existe-t-il une formation ?

Bien sûr ! Il existe un Bac Pro pour avoir le droit d’être éleveur canin. La formation se déroule dans les lycées agricoles sur 2 ans. La personne qui se forme travaille soit à plein temps dans le lycée, soit en alternance comme apprenti chez un éleveur déjà reconnu. En ce moment par exemple, je forme moi-même un apprenti qui passe la moitié de son temps à l’école et l’autre moitié ici, à l’élevage.

En quoi consiste cette formation ?

On y apprend tout sur le métier d’éleveur : l’anatomie du chien, les différentes races ou groupes, le toilettage, les conditions d’hygiène, la nourriture, la sexualité et l’accouplement, la mise bas, la manipulation des chiots, les problèmes de santé, sa propre protection contre les maladies canines transmissibles à l’Homme, le nettoyage avec des produits et du matériel professionnels, la vaccination… Et comme la formation n’est pas centrée uniquement sur le chien, on est aussi formé à tous les autres animaux pouvant être élevés (chats, cobayes, lapins…). De plus, les jeunes sont formés au côté administratif, la comptabilité, la TVA, la vente ainsi que toutes les démarches et nouvelles lois.

Une fois formé, quelles sont les démarches à faire ?

La première démarche consiste à se rapprocher de sa Chambre d’agriculture de région qui va ensuite guider le futur éleveur, notamment pour : la déclaration d’activité professionnelle en lien avec des animaux de compagnie, l’obtention du numéro de SIREN, la demande de Certificat de capacité des animaux de compagnie d’espèces domestiques (CCAD), délivré par la Préfecture, la déclaration auprès de la DDSV (Direction Départementale des Services Vétérinaires) qui se charge de l’inspection sanitaire des lieux d’élevage, la demande d’affixe auprès de la Société Centrale Canine…

Qu’est-ce qu’un affixe ?

C’est en quelque sorte la « marque » de votre élevage qui est ensuite accolée au nom de chacun des chiots nés chez vous. L’affixe peut être placé devant le prénom du chien ou après. Chaque éleveur peut choisir ce qu’il préfère. En faisant une demande d’affixe, qui apparaîtra dans le répertoire international géré par les différentes centrales canines du monde entier, vous vous engagez à n’élever que des chiens inscrits au Livre (national) des Origines et à respecter l’éthique de la profession.

Quel est votre affixe et pourquoi ce choix ?

Le Palais des Calins. J’ai choisi cet affixe car j’ai commencé à élever dans le Jura à Ney et les habitants de Ney sont les Calins (sans accent), c’est la raison pour laquelle j’ai choisi d’utiliser le mot câlin dans mon affixe, de plus, quand on connaît les Cavaliers King Charles, ça leur convient parfaitement !

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Le métier d’éleveur est aujourd’hui en pleine mutation, avec la nouvelle réglementation sur la vente de chiens (et de chats). Pouvez-vous nous dire quelles en sont les principales nouveautés ?

Le commerce de chiens est aujourd’hui davantage encadré pour assurer la traçabilité des animaux vendus et leurs conditions de santé et d’hygiène. Depuis le 1er janvier 2016, toute personne (y compris donc un particulier) qui vend au moins un animal issu d’une femelle reproductrice qui lui appartient est considéré comme un professionnel. Désormais, tout éleveur, quel que soit le nombre de chiens qu’il possède, doit donc se déclarer à la Chambre d’agriculture de sa région afin d’obtenir un numéro de SIREN. Et ce numéro devra obligatoirement figurer dans toute annonce, y compris les annonces gratuites sur Internet. Il y a une exception, un particulier qui produit une seule portée par an peut utiliser le numéro de portée LOF sans avoir besoin d’un numéro de SIREN cependant il devra également déclarer sa portée aux impôts.

Pouvez-vous nous décrire la journée-type d’un éleveur ?

Je me lève à l’aurore pour tout d’abord sortir les chiens et leur permettre de faire leurs besoins, qu’ils soient dans la nurserie, le parc, l’appartement ou la chambre. Cette première sortie est aussi l’occasion de contrôler l’état de chaque chien et son comportement pour déceler le moindre individu malade. Ensuite, je nourris tout le monde en commençant par les chiots et ceux de moins d’un an, puis les mamans et le reste de l’élevage. Les étapes suivantes sont : ramasser les déjections à l’extérieur, contrôler les femelles en chaleur pour savoir s’il est temps de faire une saillie ou pas, donner les médicaments à ceux qui en ont besoin. Le repas revient ensuite pour les chiots qui ont 3 à 4 repas par jour. L’après-midi est dédiée au nettoyage des différents endroits, au toilettage. J’essaie toujours d’intercaler au moins 1h30 de travail de bureau pour mettre à jour mon site, correspondre avec mes clients, assurer les démarches administratives. Il faut aussi prévoir les 3 promenades quotidiennes (j’ai la chance d’avoir un parc fermé d’un hectare). Et le soir on recommence les repas, les sorties, le nettoyage. Quand il y a des bébés, il y a aussi les biberons, les mamans à laver. Comme vous le voyez, c’est lourd, c’est un vrai engagement : il faut donner tout ce qu’on a à nos chiens – on leur doit bien ça. Il n’y a qu’ainsi qu’on peut faire bien son métier d’éleveur.

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Combien de chiens avec-vous aujourd’hui ?

Une quarantaine, avec les retraité(e)s.

Depuis quand exercez-vous ce métier ?

9 ans.

Un éleveur doit-il entretenir des relations avec le Club de race ?

Oui, selon moi c’est fondamental. Le club de race vous apporte des conseils, des informations essentielles, des statistiques sur les maladies de la race que vous élevez et sur la liste des examens nécessaires. Par exemple, chez le Cavalier King Charles, le fait de respecter les consignes du club sur le dépistage systématique de l’endocardiose mitrale a déjà permis de faire reculer cette maladie dont nous n’avons pas encore identifié le ou les gènes responsables.

J’imagine que la relation avec votre vétérinaire est-elle aussi cruciale ?

Absolument ! Pour moi c’est comme si c’était ma deuxième main. La confiance réciproque est essentielle. Sans mon vétérinaire, je ne suis rien. Inversement, elle me laisse perfuser mes chiens à la maison ou faire des piqûres sous-cutanées. Bien sûr, tous les éleveurs ne vont pas jusque-là mais, moi, c’est ma perception du métier: je veux être là, à tous les moments de la vie de mes chiens.

Peut-on encore prendre des vacances lorsqu’on est éleveur ?

Oui, si vous avez des personnes de confiance à qui vous pouvez confier votre élevage. Mais ce ne sont jamais des vacances de plus de 5 à 6 jours.

Quel rôle jouent les expositions canines pour un éleveur ?

C’est un moment important qui vous permet de vérifier que vous respectez le standard de la race, pour faire de jolis sujets qui feront plaisir à nos clients. C’est aussi une source de fierté pour l’éleveur. Ça veut dire que vous êtes sur la bonne ligne.

Peut-on parler de concurrence parmi les éleveurs ?

Selon moi, non. Il y a une place pour tout le monde si vous travaillez bien. Quand on a peur de la concurrence, c’est qu’on n’a pas confiance dans ce que l’on fait.

Comment faites-vous pour surmonter le départ des chiots ?

J’ai mis au point une routine. Je garde 6 chiots chaque année. Donc à chaque fois qu’un client vient chercher un chiot que je vois partir, je me console avec celui que j’ai gardé, avec « le mien ». Même si je pleure, tous mes chiens viennent me faire un câlin et après je repars. Et puis il y a tellement de travail, tellement de chiens qui sont toujours là et qui compte sur nous. Mais c’est vrai qu’il faut avoir en tête lorsqu’on se lance dans ce métier que la séparation fait partie du quotidien : on ne peut pas tous les garder sinon on ne pourrait pas faire notre métier ! Le plus dur pour moi est de me séparer de mes retraités. J’ai travaillé avec eux durant 5 ans et du jour au lendemain, je m’en sépare et mon chien ne doit pas sentir mon anxiété, ma tristesse afin qu’il quitte l’élevage confiant pour partir dans sa nouvelle famille. Il est essentiel que chacun de mes chiens (à part 3 retraitées) puisse avoir la chance de vivre une vraie vie de famille. Je n’ai pas le droit d’être égoïste pour eux. Ici, ils vivent heureux en colonie de vacances, ils jouent, ils se promènent, ils font des bébés, cependant à partir de 5-6 ans ils commencent à prendre vraiment plaisir à rester sur le canapé et ils ont besoin de beaucoup plus de câlins et d’attention. La meute de chiens ne leur suffit plus. C’est ce qui me paraît le plus difficile dans mon métier, ma passion.

Quel est le rôle de l’éleveur dans la socialisation du chiot ?

Il est fondamental et demande beaucoup d’attention. Il faut que les chiots connaissent un maximum de situations avant de quitter l’élevage, pour être bien dans leur tête : l’intérieur chauffé, l’extérieur, se laisser caresser, porter, rencontrer d’autres chiens avec des caractères différents qui vont imposer leurs règles (parce qu’ils en croiseront sur le trottoir avec leurs maîtres). Moi, mes chiots sont propres la nuit lorsqu’ils quittent l’élevage et ils ont les notions pour aller faire leurs besoins dehors. C’est énormément de travail pour moi, mais le jeu en vaut la chandelle pour le bien-être du chien et la satisfaction du client. Par exemple, le chiot fonctionne avec les odeurs. Comme ici à l’élevage, il vit avec celles de ses frères de ses sœurs et de sa mère, je lave le chiot juste avant son départ, qu’il prenne immédiatement celles de son nouveau maître et de son nouveau foyer pour faciliter son adaptation.

Quel est votre plus joli souvenir ?

Chaque naissance est la plus belle expérience. C’est un moment indescriptible. Dans la vie, j’aime le changement. Avec mes chiens, c’est toujours différent. Après chaque naissance, je fais la fête : parce que je n’ai pas perdu la maman, parce que j’ai fait tout ce que je pouvais, parce que je suis contente de mon travail. Il faut quand même dire que, de temps en temps, c’est très dur de mettre au monde des bébés qui ne pourront pas vivre ou un chiot que nous ne pouvons pas réanimer. Il faut accepter que la vie nous reprenne cette petite vie si vite…

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Quel conseil donneriez-vous à une personne souhaitant devenir éleveur ?

Ne pas faire ce métier à la légère, savoir qu’on travaille tous les jours, avec rarement des vacances, surtout au début. Avoir conscience que les saillies ne sont pas une science exacte, qu’elles ne marchent pas toujours du premier coup. Il faut d’abord penser à protéger ses adultes : ce sont nos premiers enfants. Préférer se lancer avec le moins de crédits possibles, même si cela signifie se développer plus doucement. La plus jolie voiture n’est pas pour l’éleveur car il met d’abord de l’argent dans ce qui en vaut la peine : la protection de ses chiens. Le plus important c’est qu’on doit toujours leur donner de l’amour. Si vous avez 30 chiens, même si vous êtes fatiguée, chacun de vos chiens a besoin de sa portion d’amour quotidienne.

Un grand merci à Laurence pour sa disponibilité et son enthousiasme.
En savoir plus:
- Découvrez l’élevage de Laurence, signataire de la Charte Qualité et recommandée par le Club de race : élevage du palais des câlins
- La plaquette éditée par le Ministère de l’Agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt sur les nouvelles conditions de vente
- Les mesures législatives modificatives Legifrance
- Site national des chambres d’agriculture
- Site de l’ONISEP
 

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