Un roman d’aventure passionnant situé dans le grand nord hostile au début du 20e siècle où un chien domestiqué parvient à survivre jusqu’à redevenir sauvage.
Enfant, j’ai lu Croc-Blanc, sur les conseils avisés de mon petit papa. Dans ce roman d’aventure, un loup sauvage finit par accepter la domestication et se satisfaire de la vie parmi les hommes. J’ai décidé aujourd’hui de lire son pendant symétrique : L’Appel de la forêt, écrit 3 ans plus tôt par Jack London en 1903.
Nous découvrons ici, et partageons, les aventures de Buck, un chien issu du croisement entre un Saint-Bernard et un Colley dans le Grand Nord canadien. Au début du roman, Buck est le chien de garde et seigneur de la riche demeure d’un juge, située au sud de la baie de San Francisco.
"Son père s’appelait Elmo, énorme saint-bernard jadis compagnon inséparable du juge, et Buck promettait de suivre sa voie. Il n’était pas aussi imposant – il ne pesait que cent quarante livres – car sa mère, Shep, était un colley. Malgré cela, cent quarante livres, auxquelles s’ajoutait la dignité que confèrent une belle vie et un respect universel, lui donnaient une allure de souverain."
Mais il est soudain vendu par le métayer du domaine qui cherche à éponger ses dettes de jeux. Commence alors pour Buck une aventure initiatique tantôt éprouvante, tantôt comique mais toujours extrême qui le conduit dans les terres hostiles entre les deux fleuves Klondike et Yukon au Canada où de l’or a réellement été trouvé en 1896. Cette découverte avait alors déclenché une ruée de nombreux prospecteurs venus de San Francisco et ses alentours. Peu cependant étaient parvenus jusqu’à l’eldorado, tant les conditions d’accès et de voyage étaient terribles : froid glacial, neige épaisse, fleuves gelés, solitude, bêtes sauvages, passages escarpés. Bref, tout ce que découvre Buck en devenant chien de traîneau. Mais bien plus encore : il devient expert pour repérer les traits de caractère de ses différents maîtres, pour se faire respecter parmi les autres chiens de traîneau, et comprendre le fonctionnement de la nature à toutes les saisons.
Au travers des aventures de Buck, Jack London raconte l’histoire d’apprentissage d’un chien – paradoxalement pour partie grâce aux humains qui ne sont pas tous méchants – et de sa « dé-civilisation » vers laquelle « il progressait (ou régressait) rapidement » jusqu’à retourner à l’état sauvage et répondre à l’appel de la forêt. Ce mouvement qui sous-tend tout le roman est fondé sur la mémoire : mémoire individuelle du chien qui apprend et s’adapte en tirant les leçons de ses expériences et mémoire collective de l’espèce primitive dans laquelle Buck se reconnaît de plus en plus.
Les pages les plus émouvantes restent celles décrivant Buck et son amour pour l’homme qui lui sauve la vie :
"Couché des heures durant aux pieds de l’homme, impatient, attentif, il levait les yeux sur lui, scrutait son visage, l’étudiait, suivant avec un vif intérêt la plus fugace expression, le moindre mouvement ou changement de ses traits. Ou alors, selon les circonstances, allongé plus loin, sur le côté ou derrière lui, il observait la forme de cet être humain et ses gestes occasionnels. Et souvent, la communion qui les unissait était si puissante que l’intensité du regard de Buck forçait John Thornton à tourner la tête, et il le contemplait à son tour, sans un mot, ses yeux luisant du même amour qui brillait dans ceux de Buck."
Avec la description des paysages des terres peu ou pas explorées, ses nombreux rebondissements, l’accent donné à l’hostilité de la nature tant sauvage qu’humaine, ce court roman sacrifie aux codes du roman d’aventure – c’est d’ailleurs le roman américain le plus vendu au monde. Mais, c’est aussi un des premiers livres à s’interroger sur l’intelligence animale. Le début du 20e siècle est en effet marqué par le début des réflexions sur l’animalité et les conséquences de l’industrialisation et du progrès moderne sur la nature.
Côté anecdote, Jack London a lui-même tenté l’aventure du Klondike. Revenu avec juste un peu de poussière d’or, il a néanmoins acquis une totale légitimité pour les descriptions et aventures de l’Appel de la forêt. Si certains se sont amusés à voir dans le personnage de Buck une métaphore du côté fougueux et aventureux de l’auteur lui-même, il est plutôt paradoxal de penser que les aventures de ce chien domestique qui devient sauvage correspondent précisément aux débuts de la reconnaissance et l’acceptation par la société de Jack London comme écrivain.
Enfin, l’homme était fasciné par le loup (héros de deux de ses romans) mais aussi jusqu’à appeler Wolf House (maison du loup) la demeure qu’il souhaitait faire construire dans son ranch de la vallée de Sonoma au nord de San Francisco et qui brûla la veille de son inauguration.