Une photo artistique doit-elle juste être belle ou doit-elle aussi faire passer un message ? Sophie Gamand, photographe française, aujourd’hui installée à New York, a choisi de se spécialiser dans les portraits de chiens. Elle nous explique sa perception du métier de photographe et partage avec nous quelques astuces de professionnelle.
Pourquoi avoir décidé de ne photographier que des chiens ?
Lorsque je suis arrivée à New York en 2010, pour suivre mon fiancé, j’ai tout laissé derrière moi : famille, travail, réseau social et amical. J’étais complètement déracinée. De nature plutôt timide, j’ai commencé à visiter mon voisinage, mon appareil photo à la main. C’était pour moi une façon d’entrer en contact avec mon nouvel entourage, tout en me cachant derrière mon appareil. Au hasard de mes pérégrinations, je suis entrée dans une clinique vétérinaire et j’ai croisé le regard d’un Bouledogue blanc aux yeux bleus qui semblait très inquiet et pas à sa place. Il m’a touchée profondément et a déclenché chez moi une obsession : découvrir tout ce que l’on fait avec ou à nos chiens et comment on les intègre dans notre environnement, aujourd’hui majoritairement urbain.
Étiez-vous déjà photographe lorsque vous viviez en France ?
Non, j’ai fait beaucoup de choses dans ma vie : j’ai été chanteuse d’opéra, puis j’ai été rédactrice en chef d’un magazine sur la photographie. Je ne suis véritablement devenue photographe à temps plein que lorsque j’ai découvert les chiens à New York. Mais je me considère plutôt comme une artiste pour qui la photographie est l’outil actuel, avec un objectif : explorer le monde des chiens pour mieux comprendre le monde des humains.
Avez-vous vous-même un chien ?
Non je n’ai pas de chien car à notre arrivée à New York, nous avons emménagé dans un appartement où les chiens sont interdits, ce qui est très fréquent. Mais grâce à mon travail, je suis malgré tout en contact permanent avec des chiens. Aujourd’hui nous avons déménagé et j’espère que nous allons pouvoir faire maison d’accueil pour les chiens des refuges. Ce sera la prochaine étape !
Où trouvez-vous l’inspiration pour l’ensemble des collections thématiques que vous réalisez ?
Lorsque j’ai commencé à vouloir gagner ma vie avec ce qui était devenue ma voie, je me suis vite aperçue que les commandes privées ou commerciales ne correspondaient pas à ce que je cherchais, qui était de créer des séries sur des thèmes plus profonds et plus personnels, exposer dans des galeries, faire des ouvrages, vendre des tirages. Pour trouver l’inspiration, dès que j’ai commencé à photographier des chiens, j’ai construit ma communauté, je me suis rendue à énormément d’événements et de salons autour des chiens, j’ai rencontré de nombreux propriétaires. Grâce à ce réseau que je me suis construit progressivement, je parviens facilement à trouver des modèles aujourd’hui.
Prenons un exemple. Comment avez-vous trouvé les modèles de la série Prophecy ?
Je voulais réaliser des photos sur des chiens sans poil. Pour cette série, je cherchais un chien assez rare qui s’appelle le Chien mexicain sans poil, ou Xoloitzcuintli. J’ai cherché des groupes sur Facebook et j’ai réussi à identifier une quinzaine de modèles. Bien sûr, plus mon portfolio évolue, plus il m’est facile de trouver des modèles car mon travail est reconnu et les gens sont moins suspicieux lorsque je leur demande la permission de photographier leur animal.
Travaillez-vous en studio ou en décor naturel ?
Les circonstances de mes débuts ont fait que j’ai réalisé la majorité de mes photos en studio ou chez les propriétaires des chiens. Mais je reconnais que parfois, j’ai envie de sortir et l’aventure est alors complètement différente : il faut attendre la « bonne » lumière, reconstruire un studio, jouer avec le flash. Mais dans tous les cas, je m’occupe du projet de A à Z : je construis les décors, les accessoires. Par exemple, Dead Dog Beach a été réalisée à Puerto Rico. Les photos de XOLOTL, The Soul Companion, ont aussi été réalisées en extérieur, dans le désert du Nouveau-Mexique.
Cette série me tient d’ailleurs à cœur car elle reflète bien mon esthétique : un chien qui en quelque sorte est un modèle professionnel, un pur race de concours de beauté, habitué à rester immobile ce qui lui donne un côté irréel, accentué par la lumière qui en fait presque des photos conceptuelles.
Vous mettez votre savoir-faire au profit de nombreux refuges pour les aider à faire adopter leurs chiens. Parlez-nous de Flower Power :
C’est une série très particulière. Il s’agit intégralement de pit-bulls sur lesquels je place une couronne de fleurs que j’ai fabriquée. Ensuite, je fais de la peinture numérique par-dessus pour ajouter un effet un peu flouté.
L’idée de cette série a germé en moi car je reconnais qu’au début dans les refuges, lorsque l’on amenait un pit-bull à photographier, je n’en menais par large. Et puis, un jour je me suis dit que j’étais ridicule, que je n’avais pas à avoir peur de ces chiens sans raison. J’ai donc cherché à mieux les comprendre : ces chiens donnent naissance à des réactions extrêmes, de la part de ceux qui les adorent et de ceux qui les détestent. Je voulais me faire ma propre opinion. Et puis, aux Etats-Unis, le cas des pit-bulls est un problème de société : chaque année, les refuges euthanasient entre 800.000 et 1 million de pit-bulls. Ces chiens sont souvent élevés dans des milieux sociaux qui vont chercher à développer leur caractère agressif, ne vont pas les stériliser. Très modestement, je voulais voir si je pouvais changer la perception que l’on a de ces chiens avec une série artistique : et si on faisait table rase de nos préjugés ? Et si on regardait ces chiens autrement ? Et si on n’avait pas peur d’eux, ces chiens attireraient-ils toujours autant de mauvais propriétaires ? Et si on faisait abstraction de l’émotionnel dans ce débat sur les pit-bulls et si on étudiait vraiment la question, en arrêtant de penser que leur bannissement est la solution, alors qu’elle ne fait qu’alimenter le cercle vicieux dans lequel ils sont enfermés ? Je voulais changer l’imagerie qui les entourent et ce qu’ils renvoient de notre propre image. Bien sûr, je ne suis pas en train de dire que tout le monde peut avoir un pit-bull ; il reste un chien dont la sociabilisation est cruciale et pas toujours simple. Mais c’est un véritable fait de société aux Etats-Unis et je me devais de m’y intéresser.
Comment faites-vous pour gagner la confiance de vos modèles ?
En fait, je ne cherche pas à gagner leur confiance car cela me permet de capter leur vraie personnalité. Quand un chien arrive sur un shoot, il y a plein d’objets, de lumières. Ils sont en général un peu apeurés. Je les laisse renifler l’appareil et ma main, ou je leur donne un gâteau. Mais je ne cherche pas à me lier au chien car ce que je cherche à capturer c’est comment il va réagir face à moi, qui suis l’élément perturbateur. Par exemple, pour Prophecy, j’ai photographié des chiens chinois à crêtes qui sont très peureux, qui tremblaient constamment et des chiens mexicains sans poils qui eux sont très attachés à leur famille mais ne cherche pas la compagnie des autres humains.
Voir les deux comportements et les faire passer au travers de mes photographies a été très stimulant. Lorsque je travaille dans les refuges pour promouvoir l’adoption des pensionnaires, je travaille très vite pour ne pas empiéter sur le temps des sauveteurs mais parfois un chien me « choisit ». Il y a quelques mois, les sauveteurs m’ont amené une toute petite chienne qui était terrifiée par tout, en prévenant qu’il ne fallait pas que je cherche à la toucher. En général, avec ce genre de chiens, j’essaie d’attirer leur attention avec un petit jouet, je prends juste une photo et on passe au suivant pour ne pas le traumatiser davantage. Là, après la photo, cette petite chienne s’est mise à courir vers moi, est montée sur moi et s’est mise en boule sur mes genoux. Tous les employés du refuge ont célébré cette étape importante pour la petite chienne mais je vous laisse imaginer comme ce fut rude de la renvoyer dans sa cage ensuite ! Heureusement aujourd’hui elle a trouvé un nouveau foyer.
Quelles astuces pourriez-vous donner à nos lecteurs pour faire de jolies photographies de leur chien ?
La première chose c’est de ne pas chercher à photographier son chien tout seul. Le mieux est d’avoir quelqu’un pour vous aider car vous ne pouvez pas être au four et au moulin. Il faut aussi faire attention de ne pas trop stimuler le chien. Pas la peine de faire plein de bruits, de gestes ou d’avoir des tonnes de gâteaux dans la main. Je commence toujours par un murmure pour commencer.
Un grand merci à Sophie pour son enthousiasme et l’amour de son métier qu’elle a su nous transmettre avec passion.
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